Étude des options biophysiques pour nourrir l'humanité sans déforestations supplémentaires en 2050
Par adminmas42 | Le 16/02/2018 | Articles
En 2006, la FAO indiquait dans son rapport sur l'impact écologique de l'élevage que ce secteur économique jouait un rôle déterminant dans la perte de la biodiversité, notamment en raison de la déforestation qu'elle induit [1]. En effet 30 % de la surface terrestre libre de glace sert actuellement à nourrir du bétail, soit par le biais d'une agriculture fourragère, soit par le biais de pâturages. Avec l'augmentation de la population humaine et du niveau de vie global et avec la convergence des alimentations vers un régime occidental carné, la FAO indiquait qu'en 2050 il fallait s'attendre à un doublement de la consommation de viande et de produits laitiers. Sans même mentionner la condition des animaux d'élevage, produire assez de nourriture en 2050 sans induire de déforestations supplémentaires et nuire à la biodiversité semble relever d'un insurmontable défi. C'est dans ce contexte que se place l'étude de Erb et al. publiée dans Nature Communication en 2016 qui évalue différents scénarios pour nourrir l'humanité sans déforestations supplémentaires d'ici à 2050 [2].
Pour ce faire, les auteurs se sont attachés à générer plus de 500 scénarios prenant en compte l'accroissement des surfaces cultivées, l'augmentation des productivités agricoles, la composition des alimentations des animaux d'élevage, différents scénarios d'alimentation humaine et de la nature des viandes consommées. Notez que l'augmentation des surfaces cultivées se fait essentiellement au détriment des surfaces pâturées puisqu'il s'agit de travailler à surfaces agricoles constantes pour ne pas induire de déforestations supplémentaires. La faisabilité et les effets combinés de ces scénarios ont ensuite été évalués par le modèle BioBaM qui incorpore toutes les prévisions pour 2050. Notez également que le modèle fait l'hypothèse que le marché compense les déficits régionaux s'il existe suffisamment d'excédents régionaux ailleurs. Les résultats sont fournis dans la figure 1. Les scénarios faisables sont caractérisés par la couleur verte tandis que les scénarios non-faisables sont caractérisés soit par du rose, soit par du rouge soit par du marron en fonction des critères limitants.
Figure 1 : Évaluation des différents scénarios. En vert et vert clair sont indiqués les scénarios faisables et en rose, rouge ou marron les scénarios limités. En rose les scénarios limités par le manque de terres pâturées ; en rouge, les scénarios limités par le manque de terres cultivées, et en marron les scénarios limités par à la fois le manque de surfaces pâturées et le manque de surfaces cultivées. Horizontalement, sont testés les régimes alimentaires : Rich correspond au régime alimentaire nord-américain ; Meat correspond au régime omnivore en phase avec des recommandations nutritionnelles actuelles ; BAU correspond à la projection de la FAO pour 2050 ; Vegetarian correspond au régime végétarien ; et Vegan correspond au régime alimentaire végane. Ces régimes sont généralisés à la population mondiale à l'exception du BAU. Ils sont subdivisés en différentes variantes : Ruminants pour une consommation exclusive de ruminants (bovins, ovins, caprins) ; Monogastric pour les animaux monogastriques (cochon, volailles) et BAU pour un mixte des deux en accord avec la projection 2050 de la FAO. Verticalement, se trouvent les différents rendements considérés : Organic pour des rendements de l'agriculture biologique ; FAO pour des rendements estimés par la FAO, Yieldgap pour une certaine convergence des rendements dans le monde ; High pour des rendements bien plus élevés qu'actuellement. Ces rendements ont une dépendance géographique. Ces catégories sont subdivisées une première fois en fonction de l’extension des terres cultivées (cropland extension), de 0 à 70 % (au détriment des surfaces pâturées), avant d'être subdivisées une seconde fois en fonction de l'alimentation du bétail par céréales (Grain) ou par fourrage (Rough).
Les auteurs notent que près de 2/3 des scénarios envisagés sont réalisables, mais pas à n'importe quel prix. Ils mentionnent le rôle déterminant du scénario alimentaire considéré. Par exemple, le scénario Rich (généralisation du régime alimentaire nord-américain) est réalisable uniquement si on augmente les surfaces cultivées de 40 à 70 % en fonction du rendement. Autrement dit, plus de terres cultivées et une agriculture plus intensive. A contrario, les scénarios végétariens et véganes sont très largement réalisables. Le scénario végétarien présente cependant quelques limites si on considère les rendements d'une agriculture biologique puisqu'il nécessite une augmentation d'environ 10 % de la surface cultivée dans ce cas, alors que le scénario végane est pleinement compatible avec une agriculture biologique. Les scénarios BAU (projection de la FAO, variations régionales) et Meat (généralisation d'une alimentation omnivore sur la base des recommandations nutritionnelles actuelles) présentent également de larges zones de faisabilité, mais pas sans une augmentation importante des surfaces cultivées, au delà de 20 %, dans le cas d'une agriculture biologique ou pas sans une augmentation des rendements.
L'analyse des scénarios qui ont passé le test avec succès est présentée Figure 2. Elle donne la distribution des scénarios alimentaires sur les demandes en terres cultivées (Fig 2b), l'intensité de pâturage (Fig 2c) et la biomasse récoltée (Fig 2d). Elle reste difficile à analyser car les valeurs les plus faibles que l'on peut considérer comme les plus écologiques correspondent en fait aux scénarios ayant les rendements les plus élevés et caractéristiques de l'agriculture intensive alors que les valeurs les plus élevées correspondent en fait au rendement les plus faibles qui correspondent à ceux de l'agriculture biologique. En gardant ceci à l'esprit, on constate cependant que la plupart des scénarios impliquent une augmentation plus ou moins forte de la surface cultivée et de l'intensité de pâturage, en particulier pour les scénarios Rich, BAU et Meat.
Figure 2 : a) Utilisation des terres agricoles l'année 2000. Cropland : terres cultivées ; Highly productive grazing land : terres de pâtures très productive ; Other grazing land : autre terres pâturées. b), c) et d) : analyse des scénarios faisables. Cropland demand : demande en terres cultivées ; Grazing intensity : intensité de pâturage ; Biomass harvest : Biomasse récoltée. Pour b), c) et d), les couleurs foncées donnent la répartition des 50 % centrés des scénarios ; les couleurs claires les valeurs prises pour l'ensemble des scénarios et le petit trait correspond à la valeur médiane.
Les scénarios véganes présentent peu de variabilité et sont probablement les plus remarquables dans cette analyse. En effet, en 2050 il faudrait moins de terres cultivées pour nourrir l'humanité avec un scénario végane (10-12,5 millions de km2) que ce qui était nécessaire en l'an 2000 (15 millions de km2). Avec ce scénario, l'intensité de pâturage est évidemment réduite à zéro ce qui implique une économie de 46 millions de km2 de terres exploitées par rapports à l'année 2000. Enfin, les biomasses récoltées dans le cadre des scénarios véganes sont les plus faibles de tous les autres scénarios avec en moyenne 7,5 gigatonnes de matières sèches par an, contre 10 pour le scénario végétarien et autour de 15 pour les autres scénarios. Avec une demande en terres cultivées autour de 10 millions de km2, le scénario végane diminuerait donc d'environ 50 millions de km2 la surface terrestre requise pour nourrir l'humanité. La réduction correspond à une division par un facteur 6 des terres utilisées l'année 2000.
En conclusion, cette étude permet d'avoir une vision plus précise des efforts à fournir pour nourrir une population croissante d'êtres humains en 2050 sans induire de déforestations supplémentaires. De nombreux scénarios sont envisagés et il apparait clairement que le régime alimentaire est critique quant aux efforts à fournir. Plus la consommation de produits animaux est élevée et plus la faisabilité du scénario diminue, ils ne deviennent réalisables qu'au prix d'une augmentation de la surface cultivée au détriment de la surface pâturée, deuxième paramètre le plus significatif. Contrairement aux idées reçues, l'effet de l'augmentation des rendements agricoles apparait marginal comparé aux deux autres critères (régime alimentaire et augmentation de la surface cultivée). L'étude ne s'attache pas à quantifier les effets écologiques collatéraux des intensifications agricoles associées à ces pratiques agricoles plus intensives. Les régimes végétariens et véganes présentent les faisabilités les plus importantes, la plupart des scénarios envisagés sont faisables en 2050 y compris avec une agriculture biologique. Une analyse plus appuyée des scénarios véganes montrent que non seulement ils sont compatibles avec les rendements d'une agriculture biologique d'ici à 2050, mais qu'en plus ils réduiraient la surface cultivée comparée à la situation dans les années 2000, ils réduiraient à zéro la surface pâturée et ils produiraient la plus faible biomasse récoltée. Tous ces éléments positifs mis bout à bout impliquent une diminution par un facteur six de la surface accaparée par l'agriculture comparée à la situation dans les années 2000 et témoignent d'un impact écologique minimal. Ceci est en accord avec deux précédentes études qui montrent que les scénarios d'alimentation végane réduisent la surface accaparée par l'agriculture [3,4].
Sources :
[1] http://www.fao.org/3/a-a0701f.pdf; Voir [1a] Voir résumé d'orientation pages xxi & xxii
[2] https://www.nature.com/articles/ncomms11382
[3] http://www.mas42.fr/blog/l-impact-environnemental-des-regimes-omnivores-ovo-lacto-vegetariens-et-veganes-en-italie.html
[4] http://www.mas42.fr/blog/devenir-vegane-bien-meilleur-pour-l-environnement-que-colporte.html
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Par Emile Bévillon, le16/02/2018
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